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Les adaptations nécessaires en matière de détachement

Relations de Travail & Talents

Constats

  • Le Luxembourg a, dans le cadre de la transposition de la directive d’exécution 2014/67/UE en matière de détachement, fait le choix de la sévérité en levant un certain nombre d’options laissées à la discrétion des Etats membres et en élargissant considérablement la liste des informations et documents à communiquer à l’ITM.
  • S’y rajoute que les contrôles ont été considérablement renforcés suite à la loi de transposition du 14 mars 2017 et que des dispositions encore plus restrictives sont actuellement proposées au niveau européen dans le cadre de la révision des directives détachement.
  • Même si les entreprises luxembourgeoises saluent l’objectif de renforcer la lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale notamment dans le secteur de la construction, dans d’autres secteurs, le récent resserrement des restrictions et les obligations déclaratives en matière de détachement posent d’importants problèmes.
  • En effet, une déclaration est requise même pour une simple livraison ou d’autres activités de courte durée (ex. montage, installation, réparation et/ou maintenance de machines ou équipements livrés au Luxembourg, formations dispensées au Luxembourg, …) très souvent exécutés par des techniciens et ingénieurs hautement spécialisés en pénurie partout en Europe (pour lesquels ne se pose aucune question de mauvaises conditions de travail et de non-respect du SSM).
  • Lorsqu’une entreprise fournit en un seul jour plusieurs services ou livraisons au Luxembourg, elle est tenue de faire ce jour-là autant de déclarations de détachement et à communiquer, pour chacun des salariés détachés, les formulaires A1, contrats de travail, certificats médicaux d’embauchage, autorisations de séjour, attestations des qualifications professionnelles, fiches de salaires et pointages indiquant le début, la fin et la durée du travail journalier.
  • En cas d’urgence avec risque de perte de production, il devient impossible pour le prestataire de se conformer à ses obligations déclaratives en raison du temps nécessaire pour collecter et, si nécessaire, traduire tous les documents préliminaires.
  • Ces charges administratives étant clairement disproportionnées notamment dans les cas précités, nos entreprises constatent que de plus en plus de leurs prestataires augmentent leurs prix ou refusent même de manière générale d’offrir leurs services à des clients luxembourgeois. S’ils comparent la valeur économique de la prestation et le prix qu’ils peuvent facturer aux coûts administratifs et risques d’amende associés, leur intérêt à prendre la commande devient minime voire nul.
  • Vu l’exiguïté du territoire luxembourgeois et l’ouverture de son économie, les entreprises luxembourgeoises dépendent cependant largement de produits, de services ou de transports provenant de l’extérieur. Compte tenu de la petite taille du pays, beaucoup de prestataires et surtout des spécialistes ne sont pas disponibles sur le territoire national, ce qui oblige nos entreprises de recourir à des cocontractants étrangers.
  • Il nous semble dès lors indispensable que des solutions distinctes et appropriées soient élaborées, du moins dans le cas d’activités de courte durée ou répétitives sur une base quotidienne telles que la réparation ou maintenance ainsi que pour le secteur de transport international, afin de ne pas compromettre sur le marché unique la compétitivité des entreprises luxembourgeoises, qui risquent de ne plus pouvoir ni s’approvisionner ni entretenir leur parc de machines parce que les entreprises étrangères sont dissuadées d’envoyer leurs salariés.

Adaptations nécessaires

Définir un éventail d’activités non déclarables

  • Pour éviter les problématiques évoquées, bon nombre de pays ont considérablement facilité les déclarations en raison de la nature ou de la courte durée de certaines activités. Ce choix a notamment été celui de la Belgique (également un pays de petite taille et donc fortement tributaire de l’import/export) qui a dispensé de l’obligation de faire une déclaration préalable un certain nombre de catégories de salariés détachés étant donné qu’il en résulterait pour ces personnes une contrainte démesurément lourde qui donnerait lieu à des complications administratives susceptibles d’entraver la libre circulation. Il s’agit notamment des catégories suivantes :1
  • transport international,
  • travailleurs qui assistent à des congrès scientifiques et à des réunions (pourparlers, négociations de contrats avec un client, entretiens d’évaluation…),
  • travailleurs qualifiés et/ou spécialisés de l’entreprise qui fournit le bien envoyés pour l’assemblage initial et/ou la première installation,
  • techniciens spécialisés d’entreprises étrangères qui viennent pour exécuter des travaux d’entretien ou de réparation sur des machines ou équipements livrés par leur employeur,
  • En Allemagne d’autre part, où l’obligation de faire une déclaration de détachement est de toute façon déjà circonscrite à un certain nombre de secteurs limitativement énumérés (ex. construction, services de sécurité, commerce de viande, nettoyage de bâtiments, exploitation forestière, restauration et hôtellerie, transport et logistique, …), les obligations déclaratives ne sont pas applicables aux salariés détachés dont le salaire mensuel régulier dépasse un certain seuil (2.958 euros brut resp. 2.000 euros bruts si l’employeur a payé ce salaire pour les derniers douze mois).
  • La solution d’exempter certaines activités est tout à fait compatible avec les directives en matière de détachement. Il ne faut pas oublier que ces directives étaient initialement conçues pour le secteur de la construction. La directive 2014/67/UE préconise en outre que les États membres ne devraient imposer que certaines exigences et mesures aux entreprises détachant des travailleurs dans le cadre de la fourniture de services.2 Nous suggérons donc de suivre la voie de la Belgique et d’émettre dans les plus brefs délais des instructions et réglementations afin d’exempter complètement certaines opérations pour lesquelles les obligations déclaratives sont disproportionnées et ne se justifient pas. Tel qu’exposé ci-avant, une réaction immédiate est indispensable pour permettre aux entreprises de rétablir avec effet immédiat le fonctionnement normal de leurs relations d’affaires et ne s’oppose pas, à notre avis, aux critères d’évaluation relativement ouverts prévus par le Code du travail.3

Conférer aux déclarations des activités restantes une durée de validité appropriée

  • L’obligation de faire une déclaration distincte pour chaque détachement est une simple pratique administrative nulle part formellement prévue par la législation. Par ailleurs, aucune durée de validité maximale n’est prévue pour la déclaration.
  • Les articles 142-2. et L. 142-3. du Code du travail imposent seulement au prestataire de fournir un certain nombre d’informations et de documents dès le commencement des travaux sur territoire luxembourgeois.
  • Dans la pratique, il est évidemment illusoire, pour un prestataire établi près de la frontière dont la clientèle se situe pour 70% au Luxembourg et qui passe au Luxembourg presque tous les jours, d’effectuer une déclaration distincte pour chacune de ses activités. C’est encore plus le cas pour une ligne d’autobus ou un service de livraison de colis déposant chaque jour un grand nombre de passagers ou de paquets, respectivement une entreprise de transport approvisionnant régulièrement des entreprises industrielles ou commerciales en matières premières.
  • En règle générale, sauf à déplacer de temps en temps éventuellement son adresse, les données d’identification de l’entreprise détachante changent peu avec le temps et ses clients et salariés restent à peu près les mêmes, à l’exception de quelques ajouts ou départs. Pour satisfaire aux exigences légales, il suffirait donc qu’elle communique les documents y relatifs (autorisation d’établissement, contrats conclus avec ses clients, contrats de travail, …) une seule fois, à savoir la première fois qu’il exécute un travail sur le territoire luxembourgeois (i.e. «dès le commencement des travaux sur territoire luxembourgeois»).
  • L’ITM recevrait les mêmes informations, mais une seule fois seulement, au lieu de devoir repasser en revue la même copie du même document dans le cadre de chaque détachement. A l’heure actuelle en effet, pour un même salarié ayant passé la frontière jusqu’à trois fois par semaine, l’ITM reçoit tous les mois une douzaine de copies de la même fiche de salaire. Comme il s’agit d’un document établi une fois par mois seulement, il n’est pas logique de le télécharger plusieurs fois. Il en va de même des preuves de paiement et des relevés d’heures. L’ITM est tellement bombardée de documents, qu’à notre avis, il doit être impossible pour elle d’en examiner plus de quelques %.
  • Une déclaration unique, quid à la tenir à jour et la compléter chaque mois avec les documents mensuels, permettrait de soulager considérablement non seulement les entreprises détachantes mais également l’ITM qui, tout en étant en mesure de contrôler le respect des dispositions légales, recevra beaucoup moins de copies superflues, ce qui lui permettrait d’avoir une meilleure vue d’ensemble et de mieux cibler ses contrôles.
  • Dans le cadre des relevés d’heures que les prestataires doivent communiquer par ailleurs, elle aura un suivi détaillé des différentes activités et de leurs durées respectives.
  • Alors que le badge social n’indique pas de date précise, ce système d’une déclaration unique pourrait être mise en pratique du jour au lendemain.
  • Une alternative consisterait à conférer aux déclarations de détachement une certaine durée de validité appropriée par rapport à l’activité en question. Dans le secteur du transport international par exemple, une telle pratique contribuerait à une certaine harmonisation des systèmes européens alors que nos voisins (ex. la France et l’Allemagne) connaissent des déclarations sur 6 mois dans ce secteur.

Simplifier les déclarations

Simplifications administratives

  • La quantité de documents à rassembler, le cas échéant traduire, puis télécharger sur la plateforme électronique, mène à des charges administratives et des coûts considérables et retarde de façon souvent inattendue les travaux. Pour soulager les entreprises détachantes, nous suggérons de limiter la communication à certains documents-clés permettant d’établir une présomption de réalité du détachement dès le commencement des travaux. En cas de doute, la personne de référence désignée par l’entreprise détachante s’engagerait à fournir, dans les meilleurs délais sur simple demande de l’ITM, tout autre document demandé. Cette façon de procéder est expressément prévue par la Directive.4 Surtout pour les entreprises établies à proximité des frontières, cette solution serait la plus appropriée, alors que les documents sont conservés à quelques kilomètres de distance seulement.
  • Par ailleurs, la traduction obligatoire en français ou allemand est l’un des majeurs facteurs de surenchérissement et de retards. Elle nous semble en outre complètement inutile vue le multilinguisme au Luxembourg et l’impossibilité pour l’ITM de vérifier toutes ces traductions. L’acceptation de documents anglais doit être officialisée et la possibilité devrait exister de traduire (hormis les documents-clés) au cas par cas sur simple demande les copies que l’ITM souhaite contrôler.
  • Par ailleurs, certains documents n’existent pas dans d’autres pays. En Allemagne, par exemple, aucun examen médical d’embauche n’est requis. Il n’y a que très peu de médecins du travail, ce qui entraîne de longs délais d’attente pour un rendez-vous, rendant tout détachement immédiat impossible. Les médecins généralistes refusent d’engager leur responsabilité étant donné qu’ils ne sont pas familiers avec les exigences luxembourgeoises de la médecine du travail. Une certaine réciprocité devrait exister dans ce domaine, de manière à supprimer l’exigence de certificat médical dans les cas où un équivalent n’existe pas dans le pays d’envoi. Si un salarié est autorisé à travailler dans son pays de travail habituel, son aptitude médicale devait être présumée. En cas de doute, un examen pourrait toujours être ordonné sur place.

Simplifications techniques

Certaines adaptations de nature purement informatique pourraient contribuer, en pratique, à économiser à chaque entreprise des heures et des heures de travail.

Les entreprises demandent l’introduction des options suivantes sur la plateforme électronique:

  • Sauvegarde des informations sur le client: la majorité des entreprises qui détachent au Luxembourg ont un cercle de clients réguliers. Bien que sur la plateforme électronique, il est possible de sauvegarder, en vue d’une déclaration ultérieure, tant les informations sur l’entreprise d’envoi que sur les salariés, tel n’est pas le cas pour celles relatives à l’entreprise d’accueil. L’entreprise détachante doit donc pour chaque détachement recommencer à remplir tous les champs relatifs à l’identité de l’entreprise d’accueil, même si ses salariés y ont déjà été détachés plusieurs fois.
  • Création de plusieurs accès protégés au compte utilisateur de l’entreprise détachante : en pratique, les déclarations de détachement sont le plus souvent réalisées par les salariés du service commercial ou logistique. Par contre, ces derniers, pour des raisons de confidentialité, n’ont pas accès aux fiches de salaire des travailleurs détachés. Il faudrait pouvoir permettre au service des ressources humaines de rajouter les informations et documents par rapport aux salaires à travers un accès protégé distinct.
  • Suppression de déclarations: il devrait être possible de supprimer la déclaration pour les salariés qui ont été prévus pour le détachement mais qui ne sont pas détachés au final (maladie, changement de planification, …). A l’heure actuelle, les documents mensuels comme la fiche de salaire doivent être communiqués après la date prévue pour le détachement, bien qu’aucun détachement n’ait eu lieu en pratique.

Au niveau européen

La situation actuelle risque de s’aggraver encore plus si certaines propositions faites à la lumière de la révision actuelle des directives de détachement devraient être mises en œuvre. Plutôt que de les soutenir, la révision devrait être une opportunité pour le Luxembourg de se positionner en faveur de dispositions n’obstruant pas le fonctionnement quotidien de ses entreprises, à savoir:

  • l’introduction d’exemptions pour le transport international
  • rejet des propositions en matière de rémunération, quid à en limiter le champ d’application aux barèmes prévus par les conventions collectives d’obligation générale. Sinon, tout principe d’égalité de rémunération serait susceptible de conduire à des situations absurdes obligeant l’entreprise détachante de payer pour chaque jour du mois autant de taux horaires différents qu’il y avait de clients. Par ailleurs, l’ITM serait contrainte de faire des recherches complexes pour déterminer le niveau de rémunération d’un salarié comparable auprès de chaque entreprise d’accueil non liée par une convention collective d’obligation générale.
  • rejet d’une limitation des durées de détachement à 12 au lieu de 24 mois, à moins de restreindre cette durée maximale au secteur de la construction. Il faut éviter les situations où le droit du travail change avant l’affiliation à la sécurité sociale et il faut que les parties restent libres de choisir la loi applicable conformément au règlement Rome I, quelle que soit la durée du détachement. Dans les projets à long terme et les transferts intra-entreprises par exemple, les entreprises conservent normalement le contrat de travail du pays de travail habituel, ce qui arrange tant les entreprises détachantes que les salariés détachés, qui préfèrent rester couverts par des conditions de travail qu’ils connaissent.

Notes de bas de page

  1. cf.Loi (version officieuse) et Arrêté Royal 28/03/07 (ainsi que les documents connexes: Exposé des motifs; Arrêté Royal 31/08/07; Arrêté Royal 19/03/13; Arrêté Royal 20/09/17)
  2. cf. notamment considérant 23 de la Directive 2014/67/UE
  3. cf. notamment L. 141-1. (3) et (5) du Code du travail
  4. Art. 9 b) et c) de la Directive 2014/67/UE
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